Le bug évolutif

Septembre 2025, défilé militaire à Pékin. Poutine et Xi Jinping déclarent vouloir vivre jusqu'à 150 ans. On pourrait rire. Mais leur fantasme d'immortalité concentre quelque chose de notre condition moderne.

Ce que révèlent les recherches sur l'anxiété de mort (Klackl, Aarssen, Oliveira) : la conscience humaine de sa propre finitude génère un "bug évolutif". Notre cerveau mobilise des ressources cognitives massives juste pour ne pas penser à la mort. Ce refoulement ne reste pas confiné au psychisme. Il se cristallise en structures culturelles, économiques, politiques.

Aarssen parle de deux pulsions complémentaires : le Legacy Drive (laisser une trace, un empire, une dynastie) et le Leisure Drive (fuir l'angoisse dans la distraction, l'accumulation, la stimulation permanente). Poutine et Xi incarnent le premier poussé à son paroxysme. Le reste d'entre nous incarne surtout le second : scrolling infini, consommation perpétuelle, optimisation de soi.

Ces deux dirigeants veulent conquérir l'immortalité par la durée biologique. Nous, on la cherche dans l'oubli de notre temporalité. Même combat, mêmes illusions. La modernité capitaliste comme machine à produire de l'immortalité symbolique : accumulation sans fin, croissance infinie, progrès illimité.

Sauf que ça ne marche pas. Plus on fuit l'impermanence, plus l'anxiété s'intensifie. Plus on accumule, moins on vit. Le paradoxe complet.

Peut-être que vivre pleinement commence quand on arrête de fuir. Quand on accepte que 150 ans ou 80, au fond, ça ne change rien à la question : qu'est-ce que j'ai fait de ce temps ?


  • Klackl, J., Jonas, E., & Kronbichler, M. (2012). "Existential neuroscience: Neurophysiological correlates of proximal defenses"
  • Lonnie Aarssen (2018). "Meet Homo absurdus"
  • Vanessa Machado de Oliveira (2025). "Outgrowing Modernity"